
Jeudi soir , tu es partie , nous laissant tous sous le choc . 
  Vendredi , nous nous sommes rassemblés autour de la table .
  Nous attendions que tu tendes ton verre en murmurant que tu voudrais bien une petite gouttelette de bière ou de l’eau dans ton vin . 
  Nous avons trinqué sans toi ,mais avec toi , nous avons levé nos verres à ta mémoire et nous nous sommes baladés dans nos souvenirs . 
  Pierre est reparti avec toi au Québec dans la couchette à l’arrière du camping car .
  Thierry a rallumé ta cigarette sur une place à Amsterdam et il s’est rappelé comment vous remontiez le couloir du central, toi les deux mains bien accrochées derrière son fauteuil électrique . 
  Christophe était avec toi sur la plage en Guadeloupe, sur le bateau en Corse .
  Jean entend encore sa voisine de chambre ronfler de l’autre côté de la cloison . 
  Sabrina t’entraînait parfois dans sa chambre pour te maquiller, te masser les mains .
  Bruno te servait ton café avec tendresse mais vous pouviez vous chipoter comme un vieux couple. .
  Sylviane se souvient de ton plouf dans l’Etang des Pontarrets quand tu  as lâché tes freins .
  Annie appréciait ta gaieté et ta gourmandise , vous vous retrouviez autour de la table pour cuisiner , tu étais devenue une spécialiste du pèle-pommes . 
  Tu veillais à ce qu’Aymeric ne sale pas trop ses aliments , tu prenais soin de Florence en lui faisant des petits câlins mais tu pouvais aussi la rabrouer quand ses buuuuu t’envahissaient . 
  Que de souvenirs évoqués sur toutes ces années partagées au Pavillon 4 . 
  Tu étais difficile à comprendre , tu invitais ton interlocuteur à s’approcher pour lui susurrer des bribes de phrases , alors le temps se suspendait à tes mots et quand enfin tu les lâchais , ils devenaient essentiels et précieux . 
  Mais au taquin qui t’agaçait tu pouvais brandir les poings et lui asséner un retentissant :
  « Merde à toi , espèce de vieux con » ! et puis quand nous t’en demandions trop , que nous te refusions quelques choses , tu nous rétorquais un magistral : « Espèce de vieille salope ! » . 
  Au milieu d’un conflit , tu pouvais t’interposer , prendre la défense du plus faible en menaçant de ton doigt pointé haut . 
  Femme haute en couleurs , tu ne laissais personne indifférent , tu pouvais te dévoiler bouleversante , apparaître agaçante , provocante , révéler tes angoisses et puis te montrer prévenante , attentionnée , femme bienveillante avec ceux qui partageaient ta vie . 
  Tu étais profondément attachée à ta sœur Annie , avec laquelle tu entretenais depuis votre enfance une belle complicité . 
  Irène , Dame coquette , sous la douche tu réclamais ton jet d’eau froide , tu choisissais avec soin tes vêtements , sans oublier cette touche de noir en mémoire de tes parents . 
  Devant ta glace , tu te caressais le visage de ta légendaire crème Nivéa dans sa boîte bleue et tu apparaissais rayonnante au petit déjeuner , gracieuse  aux compliments de tes compagnons de pavillon . 
  Femme jusqu’au bout de ton sourire , énigmatique à la Mona Lisa quand tu croisais l’objectif . 
  Femme battante , tu as lutté avec courage contre la maladie . 
  Femme tranquille , aux premiers jours du printemps tu t’abandonnais aux rayons du soleil et sous ton chapeau de paille , tu t’appliquais aux plantations nouvelles . 
  Femme musique , aux concerts tu reprenais les refrains de tes artistes préférés . 
  Femme d’humour qui pouvait éclater de rire aux blagues grivoises . 
  Femme aventureuse , tu étais partante pour traverser les océans , te bringuebaler sur les pavés d’une ville inconnue . 
  Femme séductrice , en regardant ton visage lisse , il était difficile d’imaginer que tu avais fêté tes soixante ans au mois de novembre . 
  Quelle fête ce fut ! Tu as accueillit tes invités , reçue les flatteries et renvoyé des sourires avec délices . Tu as virevolté et tu t’es déhanché sur la piste de danse et tu as même déclenché l’alarme en soufflant tes bougies . 
  Et puis aujourd’hui, nous voilà à nouveau réunit autour de toi pour accompagner ton ultime voyage.
  Va où tu dois aller , mais sache que tu laisses un vide cruel sur le pavillon et dans l’institution .
Les Résidents et Le Personnel du Pavillon 4